Supervisory authorities

CNRS

Search




Home > News

La naissance miraculeuse des flocons de neige

by Anne-Marie - published on

Par Tristan Vey

La diversité et la complexité des flocons de neige fascinent depuis longtemps les physiciens qui n’ont pas encore levé tous les mystères de leur formation.
La neige qui tombe actuellement dans de nombreuses régions de France est un spectacle enchanteur. Même pour un physicien. En 1611, le célèbre astronome allemand Johannes Kepler s’émerveillait déjà dans un petit traité, L’étrenne ou la neige sexangulaire , de la complexité des flocons de neige. Il s’étonnait à la fois de la régularité du nombre de branches de ces cristaux, toujours au nombre de six, et de leur extrême diversité de formes. Comment expliquer une telle variété alors que ces objets sont «dénués d’âme», selon son expression (comprendre de plan d’organisation ou de volonté propre)? Quelque 400 ans plus tard, les scientifiques comprennent un peu mieux les principes physiques qui dirigent la formation des flocons, mais ils n’ont pas encore levé tous les mystères qui entourent ce petit miracle de la physique.

Commençons par rappeler qu’il existe effectivement une grande diversité de flocons. Le premier scientifique à les avoir catégorisés de manière rigoureuse était japonais. Après des années de description méticuleuse, Ukichiro Nakaya publia en 1954 une première classification en 41 types différents (voir ci-contre). Il fut aussi le premier à faire croître des cristaux dans des conditions de température et d’humidité contrôlées, deux paramètres fondamentaux pour leur géométrie comme nous le verrons plus loin. Kenneth G. Libbrecht, physicien à Caltech, propose aujourd’hui plutôt 35 types de flocons, qu’il détaille sur son site (notons qu’il avait également rédigé un article de vulgarisation passionnant en 1999, traduit en français sur le site du magazine Pour la science).

Quelle que soit leur forme, tous les flocons naissent dans les nuages. Lorsque la température est suffisamment basse, les gouttelettes d’eau dont ils sont composés et dont le diamètre ne mesure pas plus du dixième de l’épaisseur d’un cheveu peuvent alors geler, donnant naissance à un embryon de flocon. Les physiciens parlent plutôt de «germe». Ce dernier va peu à peu croître en absorbant les molécules d’eau contenues dans l’air. Elles passent ainsi directement de la phase gazeuse à la phase solide, sans passer par l’état liquide.

«Dans un premier temps, il faut que la molécule parvienne jusqu’au cristal», détaille Mathis Plapp, physicien, directeur de recherche CNRS au Laboratoire de physique de la matière condensée à l’École Polytechnique (Palaiseau). «C’est ce qu’on appelle le transport. Puis, dans un 2e temps, il faut que cette molécule trouve sa place dans la structure cristalline. C’est ce qu’on appelle la réaction de cristallisation. Suivant que la cristallisation du flocon est limitée par l’un ou l’autre de ces processus, cela ne donnera pas la même géométrie.»

Dans un air relativement humide, le flux de molécules d’eau arrivant à la surface du germe est importante. Si le germe présente une protubérance, même légère, celle-ci peut capter une partie plus importante de ce flux. Elles se fixeront sur la première surface venue. Si le germe présente une protubérance, même légère, elles se fixeront donc dessus en priorité. Ce phénomène favorise la croissance de «branches»: on obtient un flocon «traditionnel». «Les branches elles-mêmes peuvent présenter des protubérances qui donnent naissance à des ramifications», ajoute Mathis Plapp. C’est parce que ces petits défauts apparaissent aléatoirement qu’on dit souvent qu’il n’existe pas deux flocons identiques. Kenneth Libbrecht a bien réussi à produire des flocons quasi-identiques en contrôlant très précisément leurs conditions de formation, mais il reconnaît lui-même que la ressemblance, aussi troublante soit-elle, n’est pas parfaite. On peut retrouver ici une sélection de vidéos fascinantes de flocons en train de grossir.

Aiguilles et cylindres

Nous comprenons maintenant un peu mieux pourquoi les flocons présentent des branches. Mais pourquoi six? Cette propriété est liée à la structure cristallographique de la glace, dont les molécules forment des hexagones lorsqu’elles s’organisent entre elles. «C’est d’ailleurs ce qui rend les flocons fascinants: c’est une manifestation macroscopique de l’existence des atomes», souligne Mathis Plapp. «Leur symétrie est inhérente à la structure même de la matière.»
Que se passe-t-il maintenant lorsque les molécules d’eau sont peu abondantes dans le nuage? «Les branches ne présentent alors plus aucun avantage», explique Mathis Plapp. «Les molécules, rares, qui arrivent sur la surface, ont tout le ‘loisir’ de choisir leur site d’incorporation. Ce sont des détails cristallographiques qui entrent alors en jeu et favorisent la croissance du cristal dans une direction privilégiée.» Le cristal forme alors des aiguilles ou des cylindres.
En fonction de la température ou de l’humidité de l’air (pour ne rien simplifier, ces deux paramètres sont liés: plus l’air est chaud, plus il peut contenir d’eau), c’est l’un ou l’autre de ces deux processus qui limite la croissance du flocon (transport ou réaction de cristallisation). Et comme le flocon se déplace aléatoirement dans le nuage au cours de sa formation, il peut aussi passer d’un mode à l’autre de cristallisation. Sa forme finale dépend donc de son histoire au sein même du nuage où il s’est formé. D’autres paramètres, plus complexes encore, peuvent aussi entrer en jeu. «Il apparaît parfois par endroits une fine couche d’atomes dans un état liquide sur certaines faces du flocon, ce qui perturbe la cristallisation et la rend plus compliquée à comprendre et à étudier.»